3 - Asher et Jean-Claude : le poids des souvenirs
Asher et Jean-Claude le poids des souvenirs
Il était perdu dans le silence de la nuit, environné par une évidente nostalgie, il contemplait les tableaux au mur, la décoration qu’il avait choisie avec tellement de soin, il essaya de trouver un sujet de distraction. Il jeta un œil sur le livre pieusement conservé, caressant du doigt la couverture de vieux vélin et avec réticence il ouvrit le livre. Seulement quelques pages étaient couvertes d’une écriture manuscrite et n’aurait eu aucune signification pour un autre lecteur que lui. Il remarqua avec détachement, comme s’il était à une grande distance de là, que l’encre avait encore pâli, après tant d’années. Sans doute un jour elle ne serait même plus lisible, trop pâle pour qu’on puisse la déchiffrer.
Une pensée traversa son esprit, une pensée qu’il avait essayé de repousser ou d’ignorer toute la soirée. Jean-Claude se demandait si Asher était terré dans son logement, peut-être assis près d’un chandelier, ses souvenirs trop à vifs pour être exposés à la lumière artificielle du monde moderne.
D’une seule pensée il pourrait l’atteindre et savoir si le vampire à la chevelure dorée était à quelque pièces de lui ou bien s’il était parti dans quelque clubs où il passerait la nuit, intoxiqué par des choses beaucoup plus puissantes que l’alcool. Mais est-ce que le sang est plus doux que l’alcool lorsqu’on est noyé dans le chagrin ?
Une goutte de cire glissa le long d’une bougie et coula doucement jusqu’à sa base, Jean-Claude sursauta à la manière d’un vampire. Gelé sur place en apparence mais à l’intérieur tressaillant violemment. Il tendit le doigt et volontairement cueillit de la cire brûlante sur l’extrémité si sensible, ressentant une cuisante douleur. Même ceci n’était qu’un simulacre ; comment pouvait-on la comparer aux souvenirs douloureux, à la mort, à l’abîme qui sépare le mortel de l’immortel, l’humain du vampire ?
Dans son dernier cri elle a prononcé ton nom, Jean-Claude… parce que même là, elle pensait que tu viendrais la délivrer.
Cette révélation qu’Asher avait finalement fini par laisser glisser à travers ses lèvres
lui brûlait toujours le cœur, la preuve que le temps n’avait rien émoussé. Une soudaine colère l’envahit, contre lui-même et il se força à lire les mots inscrits sur les pages du vieux journal intime, pour murmurer son nom dans son esprit, comme une lointaine et douce caresse… Julianna. Il se laissa aller à ses souvenirs, sa vie avec elle et Asher et tout ce qu’ils avaient partagé. Il l’avait tuée cette nuit-là, il y a de cela si longtemps !
Après tant et tant d’années, il avait oublié sa propre date de naissance et Asher également, mais jamais ils n’oublieraient, ni l’un ni l’autre, la date qui avait marqué la fin de leur amour, la fin de leur amante.
De nouveau, Jean-Claude pensa qu’il aurait peut-être un prétexte pour faire venir Asher près de lui, pour les relier malgré la distance entre eux deux, pas une distance physique mais une distance froide entre leurs deux esprits. Mais ce n’était que lâcheté. Il savait qu’Asher offritait peut-être quelques platitudes en réponse à ses excuses, quelque chose de formel. Asher l’avait détesté, haï, avait voulu se venger. Il ne savait pas que Jean-Claude s’était condamné lui-même plus qu’aucune autre personne n’aurait pu le faire.
La cire de la bougie coula sur le dos de sa main et laissa une marque rouge sur sa peau si pâle, mais ça guérirait, trop vite, beaucoup trop vite.
Jean-Claude referma le vieux livre, le journal intime de Julianna et jura alors qu’un coup soudain retentit sur la porte. Quelqu’un frappait ce qui le fit sursauter et heurter une des bougies qui s’éteignit. Qu’importe sa vue était largement suffisante pour compenser l’obscurité de la pièce, il se leva avec réticence et alla ouvrir la porte.
Asher se tenait dans l’encadrement, son visage totalement dépourvu d’expression. Un moment ils restèrent à se contempler et soudain Jean-Claude réalisa que l’autre vampire était venu vers lui de son plein gré.
Impitoyablement, il réprima l’envie qui le tenaillait de l’attirer contre lui. Ils ne s’étaient pas vus depuis quelques jours, comme si le fait de s’être évités aurait pu les aider à oublier leur chagrin ou calmer leur douleur. Non, cela rendait tout encore pire, bien pire.
Asher se mit à parler : « Tu ne répondais à aucun appel »
Pendant un long moment, Jean-Claude resta à le contempler, incapable de réaliser qu’il était arrivé devant sa porte. Il aurait presque voulu refermer cette porte, tourner le dos à ce mirage doré qui se tenait calmement devant lui et prétendre que cette nuit n’était pas différente de toutes les autres dans sa longue, très longue existence.
« Est-ce en rapport avec les clubs ? » dit-il d’un ton cassant, essayant de maîtriser ses émotions. « je ne veux pas en entendre parler cette nuit ».
Ses capacités et son génie pour entreprendre rendaient son existence intéressante, même agréable quelquefois, mais si Asher était venu lui dire qu’une de ses affaires dans un des clubs avait périclité cette nuit, il s’en fichait éperdument, non surtout pas cette nuit !
Il détestait se sentir si vulnérable. Non en fait, ce n’était même pas ça. Il avait été vulnérable pendant tout le temps qu’il avait passé à la fois en tant qu’humain et vampire, mais il avait appris avec Belle Morte à ne jamais le montrer. Au sein des cours vampiriques, dangereuses et rutilantes, l’apparence était tout. Mais Asher le regardait de manière plutôt différente et il savait qu’il n’était pas impénétrable, pas pour lui, pas autant qu’il aurait aimé l’être.
La faible lueur de la bougie, la manière dont Asher laissait sa chevelure masquer une partie de son visage, tout cela était trop intime. Vraiment trop… comme s’il voyait Asher près de l’âtre, s’étirant langoureusement auprès de Julianna, tous les deux comblés par le plaisir.
« Tu vis trop souvent dans le passé, Jean-Claude ! »
Cette phrase venant d’Asher semblait terriblement fausse. Il avait envie de se mettre en colère contre lui. Est-ce que tu crois que l’un ou l’autre d’entre nous va l’oublier ? vivre assez longtemps pour ne penser à elle qu’avec juste un petit pincement au cœur ?
« Je ne pense pas au passé continuellement » murmura Asher.
Menteur, pensa Jean-Claude. Il n’avait jamais très bien su où placer cette ligne séparant présent et passé, comme si quelque chose n’avait jamais été terminé, comme s’il n’avait jamais cessé d’avoir la nostalgie du passé. Et alors quoi, il n’avait jamais cessé d’aimer Asher non plus !
« Pourquoi mens-tu ? quand tu sais que je peux voir la vérité dans un seul de tes regards ? »
La bouche d’Asher se tordit dans un rictus amer en pensant ironiquement aux vampires en tant que détenteur de la « vérité ».
Un autre moment de silence, pendant lequel Jean-Claude s’efforça de trouver un terrain d’entente alors qu’Asher le regardait avec un air d’amusement ironique.
« Pourquoi es-tu venu, Asher ? »
Il pencha la tête en arrière, comme si à travers le plafond il pouvait voir les étoiles, loin, très loin au-dessus de leurs têtes.
« Et si je te disais Jean-Claude, que je suis venu partager tes souvenirs ? »
Ce n’est pas ce qu’il avait imaginé entendre et Asher se tenait tranquillement, irradiant quelque chose, quelque chose de féroce, coléreux, dur et impitoyable. Et soudain le vampire avait bougé et tous les sentiments s’étaient retirés de son visage qui était devenu aussi impersonnel que les pièces de chaque côte d’un échiquier : l’une blanche, l’autre noire.
« Le Conseil des Vampires requiert ta présence. Ils ont décidé que la réunion aurait lieu à la cour de Belle Morte », un sourire sardonique jouait sur les lèvres faites pour la séduction et Jean-Claude se sentit changé en un bloc de glace.
« Pourquoi ? »
Les yeux bleus scintillèrent alors qu’Asher haussait gracieusement les épaules.
« Pour rencontrer le nouveau sourdre de sang. Tu ne peux les éviter constamment, Ils attendent ta présence dans une semaine » et comme s’il ne pouvait pas s’en empêcher « tu n’as pas à t’inquiéter Jean-Claude, après tout tu as toujours été le meilleur pour survivre ».
Il y eut un silence, pesant, douloureux.
Asher leva la main comme s’il allait toucher le visage de Jean-Claude, mais celui-ci fit un pas en arrière. Il y avait un regret noyé dans les yeux bleu pâle et Asher ouvrit la bouche mais avant de proférer le moindre son, Jean-Claude leva la main et couvrit ses lèvres, scellant le message.
« Non, dit-il, et sa voix était aussi crissante que du verre pilé, non tu as raison ».
Les lèvres étaient douces et parfaites sous ses doigts et pendant un moment son esprit imagina ce qu’elles seraient sous les siennes dans un baiser ; les souvenirs affluèrent, ceux qu’il essayait vainement d’oublier. Doucement Jean-Claude retira sa main. Il n’est pas pour toi, il te condamne, il te hait…
Il fit deux pas en arrière et referma la porte, puis se retourna et s’appuya dessus, sentant la présence d’Asher de l’autre côté, tel un feu brûlant. Il passa un long moment avant que la chaleur ne cesse.
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