Plume et parchemin

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Chapitre 8 - "Notre ami"

8 - "Notre ami "

 

      Elizabeth écrit presque quotidiennement à l'empereur pour le supplier de signer ce compromis « pour l'avenir de l'empire, pour que mon fils n'ait rien me reprocher car j'aurai fait tout ce qui est en mon pouvoir ».

Le 18 août, elle fait un voyage éclair à Vienne, pour l'anniversaire de l'empereur mais ils n'arrivent pas à se réconcilier et s'il lui reproche de ne voir que le point de vue de la Hongrie et de mépriser les autres peuples qui constituent la monarchie, elle lui fait reproche de laisser cette situation se dégradera avec les conséquences qu'en subira l'empire. La paix n'a pas encore été signée avec la Prusse et les choses traînent en longueur. La menace n'est pas encore éloignée. Elle insiste que la Hongrie aurait apporté un poids supplémentaire dans les négociations de paix,  mais l'empereur semble encore hésitant. Finalement, ils n'arrivent pas à s'entendre, s'accrochent, se lancent des paroles amères.

Le lendemain, malgré les démonstrations de tendresse de son époux, qui dit-il se sent si seul ici sans elle, Elizabeth repart sous le prétexte qu'elle a laissé ses enfants à Buda mais aussi parce que le 19 août est la fête de St Etienne, patron de la Hongrie et elle entend bien fêter cet évènement avec ses chers amis Hongrois.

 

Elle reste à Buda jusqu'au début de septembre mais lorsqu'on parle de menaces de choléra dans Pest, elle craint pour les enfants et l'empereur s'étant fait plus pressant, elle décide de repartir pour Vienne.

 Mais avant de partir ....

 

Le comte Andrássy rentre chez lui en son palais au bord du Danube, après une séance à la Chambre des Députés. En pénétrant dans le hall, son valet l'accueille «  deux dames vous attendent Monsieur le comte ».

-          Deux dames ? dit-il très surpris,  ont-elles laissé leurs noms ?

-          « L'une d'elle est Mlle Ferenczi mais l'autre je ne sais pas, elle était voilée. Je les ai conduites au petit salon.

Andrássy lui lance, plus qu'il ne lui tend, son chapeau et ses gants et se dirige précipitamment vers le salon d'où sort justement Ida qui vient à sa rencontre.

-          Ida, vous ici ? dit-il en serrant sa main dans les siennes, mais que se passe-t-il ? qui vous accompagne ?

Ida s'efface, ouvre la porte et avec un sourire 

-          Jugez par vous-même comte.

 Assise dans un fauteuil, Elizabeth est là, un livre ouvert sur les genoux. Manifestement elle attend depuis un moment, elle ôté son chapeau et retiré ses gants.

-          Vous ici, Majesté ! s'exclame-t-il et en trois enjambées rapides, il est auprès d'elle. Plutôt que de s'incliner très bas vers elle, il met un genou en terre pour saisir la main qu'elle lui tend – douceur soyeuse de la moustache – Elizabeth regarde cet homme qui est tout près d'elle, gravement, sans rien dire.

Mais le comte se redresse souplement.

-          Je suis heureux que vous soyez venue, Majesté, j'espère que rien de grave n'est arrivé ? contre tout respect de l'étiquette, il a pris la parole en premier, mais il sait que l'impératrice ne s'en formalisera pas. Ils ont eu tout les deux l'habitude de discuter librement.

Elisabeth veut refermer le livre qui est demeuré ouvert sur ses genoux, mais captant le regard du comte

-          Pardonnez-moi, comte, j'espère ne pas avoir été indiscrète, j'ai ouvert un de vos livres qui était sur cette table et j'ai été captivée par ces poésies. Est-ce un de vos livres préférés ?

C'est un recueil de poèmes qui m'est très cher en effet,  dit-il visiblement embarrassé. Certains textes ont été annotés de sa main ou contiennent des vers particulièrement émouvants qu'il a soulignés à la plume. Il est justement  ouvert à l'une de ses pages préférées, un magnifique poème d'amour et il se souvient qu'il a écrit dans la marge « ha legalább »…( si seulement… )

Il est devenu très pâle soudain et pour masquer son trouble il va chercher un siège qu'il approche, plus près  que ne le précise le protocole. A moins d'être en public, ils se moquent l'un et l'autre de la « distance réglementaire » imposée par l'étiquette, que ce soit lors de conversations ou de promenades à cheval.

Son regard inquiet va de l'impératrice au livre, mais dans les yeux d'Elizabeth il ne lit aucun reproche,  seulement une tendre compréhension.

-          Autrefois, dit Elizabeth un peu rêveuse, j'ai entendu un poème de Petöfi. C'était mon professeur de Hongrois, le cher vieux comte Majlath qui me l'avait lu. Attendez, si je me souviens bien… il commençait ainsi : Te voltál egyetlen virágom ; (tu étais ma seule fleur)

Le comte ferme à demi les yeux et d'une voix douce continue :

Hervadt vagy : puszta életem. (tu es flétrie ; ma fleur de puszta)

Te voltál fényes napvilágom ; (tu étais ma lumière du jour)

Lementél : éj van körülem. (tu es partie : la nuit est autour de moi)

Te voltál képzeményeim szárnya ; (tu étais l'aile de mes illusions)

Megtörve vagy : nem szállhatok. (tu es cassée : je ne peux plus voler)

Te voltál vérem forrósága ; (tu étais le chaleur de mon sang)

Mehültél : óh, majd megfagyok. (tu t'es refroidie : je vais geler)

Un très beau poème sur l'absence et l'abandon. Je suis heureux que vous l'ayez aimé.

Après avoir posé l'ouvrage sur la table, cette fois c'est Elizabeth qui prend la parole.

-          Comte, je suis venue vous faire mes adieux.

-          Votre Majesté retourne donc à Vienne ?

-          Il le faut, maintenant… sa voix hésite un peu – si je suis venue chez vous, c'est que tout d'abord je déteste les démonstrations en public, vous le savez bien – le comte approuve d'un signe de tête – mais aussi parce que je voulais m'entretenir une dernière fois au sujet de ce qui nous tient tant à cœur, ce futur compromis. Soyez assuré, comte, que même à Vienne je lutterai de toutes mes forces pour que les négociations avancent dans un sens favorable.

-          Je suis persuadé que Votre Majesté saura trouver les mots nécessaires pour convaincre l'empereur, puisque ni moi ni Deák n'y sommes malheureusement arrivés – sa voix a un petit ton amer – la nation hongroise et moi-même  vous en seront éternellement reconnaissants.

Elizabeth l'interrompt d'un petit geste de la main, « laissez cela, comte, rien hélas n'a encore abouti. Soyons plutôt pratiques et cherchons un moyen d'échanger nos informations sans qu'aussitôt tout l'entourage de l'empereur en soit informé ».

-          Une correspondance normale est à exclure, à cause de la censure, quand à vous rencontrer personnellement ce qui était possible ici, sera malheureusement infaisable à Vienne. J'imagine que tous vos faits et gestes sont minutieusement contrôlés et il hors de question que nous ayons l'air de deux …

-          De deux conspirateurs ! à cette idée, un rire léger les prend soudain tous les deux.

-          Mais dites-moi, comte, vous entretenez, je crois, une correspondance régulière avec Ida et ce depuis plusieurs années ?

-          C'est exact, Majesté, depuis qu'Ida a quitté Kecskémet pour entrer au service de Votre Majesté... oui, bien sûr, notre correspondance purement amicale, pourrait servir de support d'informations, il suffirait de déguiser nos noms…

-          Selon un code connu de nous seuls et d'Ida naturellement. Voudriez-vous la faire venir s'il-vous plaît ?

-          Certainement, Majesté, le comte se lève, s'éloigne et revient bientôt accompagné de la lectrice d'Elizabeth.

-          Ida, nous allons avoir besoin de toi, dit l'impératrice et elle explique le plan qu'ils ont échafaudé.

-          Je pense que c'est une excellente solution d'utiliser notre correspondance personnelle pour que vous puissiez échanger des informations, approuve Ida.

-          Pour que nous puissions comploter tranquillement, ajoute le comte, visiblement enchanté de cette possibilité.

Les yeux d'Ida brillent à cette idée.

-          Il suffirait que vos noms ne soient pas nommés… voyons comment pourrait-on vous appeler Majesté ?

-          Je pourrais être ta sœur… le comte écrirait alors, « dites à votre sœur » …

-          Oui, c'est un excellent choix, Majesté et comment me nommera-t-on alors, demande le comte.

Ida suggère que ce soit  « notre ami » cela donnant une large marge de personnes, Ida correspondant avec de nombreux amis en Hongrie.

Tous les trois paraissent parfaitement satisfaits de ce projet. Avant de quitter Andrássy, pendant qu'Ida est allée chercher le chapeau et les gants de l'impératrice, Elizabeth tend une dernière fois la main au comte qui lui souhaite un très bon voyage et un bon retour à Vienne.

-          Je reste le fidèle serviteur de Votre Majesté ajoute-t-il et si Votre Majesté a besoin de moi, je suis à son service…

-          J'aurais plutôt besoin d'un ami. Elizabeth a formulé cette phrase à voix basse, comme s'il lui coûtait de l'avouer.

-          Mon amitié vous est toute acquise, la plus fidèle et la plus dévouée qui soit. Je prie Dieu qu'elle ne soit jamais prise en défaut et qu'elle vous accompagne pour tout le temps où le Seigneur m'accordera de vivre !

C'est un serment de fidélité qu'il a prononcé gravement comme un chevalier s'engage à protéger et défendre sa dame.

Elizabeth, les larmes aux yeux a répondu très doucement « merci je ne l'oublierai pas » mais Ida revient et ils se séparent de manière plus protocolaire.

-          J'espère que Votre Majesté reviendra bientôt dans ce pays  ajoute seulement Andrássy

 

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01/01/2016
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