Plume et parchemin

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Chaptire 2 - Réflexions d'Andrassy et d'Elisabeth

2 - Réflexions d'Andrássy après la réception

         Ce soir-là, le comte a ressenti une joie immense. Jamais auparavant, il n’avait goûté cette communion de pensées en quelques paroles échangées. Il désire plus que tout pouvoir de nouveau parler avec l’impératrice, échanger des idées et non pas s’en tenir aux banales conversations de salon.

Cette femme est merveilleusement belle aussi et là il a peur soudain de l’attrait qu’elle exerce sur lui, sur ses sens. Il a toujours été attiré par les jolies femmes ; mais les conquêtes trop faciles l’ont toujours laissé insatisfait, errant d’enchantements en désillusions. Plaire, séduire, mais trop facilement, cela l’a rendu presque blasé, comme s’il cherchait en vain une femme qui, enfin, en vaudrait la peine.

Les sentiments très forts qui lui sont propres, il n’a pas encore su les partager et il s’est contenté de « bagatelles », de conquêtes passagères, d’aventures brèves qui ne calment que les sens mais laissent le cœur plein d’émotions inexprimées.

Assoiffé d’amour, il ignore le partage total. Même dans son union avec la belle baronne Katinka Kendeffy, épousée à Paris, il n’a guère exprimé ses sentiments les plus intimes. Elle était belle, riche et leur mariage était consenti pour le bien de chacun, pour la sauvegarde de leur patrimoine. Leur union est sans problèmes, ils s’entendent bien. Il est un bon père, strict sur l’éducation de ses enfants, un mari attentionné, mais ceci n’exclut pas les « escapades amoureuses » comme on dit, qui ne sont, en fait, que des passades où l’amour n’a guère à  y voir.

 

Son esprit est décidément troublé ce soir, il se sent terriblement désarmé devant cette jeune femme qui lui a paru si droite, si entière, si pure, presque une jeune fille malgré ses trois enfants.

On lui a demandé de plaire à la jeune impératrice et c’est lui qui tombe sous son charme.

« Je ne vais quand même pas tomber amoureux ….comme un collégien » et il plonge sa tête dans ses mains sous le poids des pensées qui l’obsèdent.

 

Il est inquiet soudain, réalisant leur différence d’âge. Pourtant il semblait sûr de lui à Paris, où ses cheveux bouclés, sa moustache et sa barbe sombres plaisaient aux belles mondaines qui, coquettes, abordaient sans vergogne « le beau pendu » comme on avait l’habitude de le nommer dans les salons. Il en a entendu des substantifs flatteurs dans leurs bouches ! Enfin, pense-t-il, elles étaient plutôt intéressées par l’attrait de l’inconnu, le charme un peu sauvage mais bien policé du bel Hongrois.

Mais « elle » comment me voit-elle ? je voudrais tant le savoir. Ida me le dira-t-elle, trahira-t-elle les secrets de sa maîtresse ? j’en doute, même au nom de notre vieille amitié. Alors comment savoir ?

Lui faire la cour ? jamais ! je la respecte trop pour la traiter comme n’importe quelle autre femme et puis elle est l’impératrice … et ni elle, ni moi ne sommes libres »

De nouveau il baisse la tête sous le poids de ses pensées.

 

 

2-bis - Réflexions d'Elisabeth après la réception

- II -

 

Elizabeth dans ses appartements a retiré la lourde robe de satin blanc, ses bijoux et maintenant en simple déshabillé ivoire, ses cheveux nattés pour la nuit croulant sur ses épaules et son dos elle ressemble non plus à l'impératrice mais à une ravissante jeune fille.

Elle bavarde avec Ida, son amie, sa confidente, qui bien que plus jeune de 4 ans paraît plus âgée, plus posée que sa fantasque maîtresse, qui justement, ce soir, manifeste son impatience en arpentant sa chambre d'un pas nerveux.

Pour capter son attention, d'une voix douce Ida lui dit :

-        Je crois que vous avez charmé tous mes compatriotes cet après-midi et ce soir également.

-        Ah ma douce Ida, jamais je n'ai ressenti une telle chaleureuse sympathie autour de moi et comme ces Hongrois sont superbes et fiers dans leurs magnifiques costumes, quelle fougue dans leur comportement !

Manifestement Elisabeth est enthousiaste de cette réception. Depuis longtemps, sa lectrice ne l'avait vue aussi animée, le rose aux joues.

Elle aimerait lui poser une question concernant le comte son ami, par exemple quelle impression il a fait sur l'impératrice, mais elle n'ose pas directement le nommer. Par un biais détourné elle interroge :

-        On vous a présenté tous les représentants de la délégation n'est-ce pas ? certains ne vous avaient pas encore rencontrée …

-        Si tu penses à ton cher ami le comte Andrássy dont tu me rebats les oreilles, oui  je l'ai rencontré et nous avons bavardé un peu, en hongrois … quel homme étrange …

-        Que voulez-vous dire Majesté ? interroge Ida, soudain pleine d'inquiétude.

-        C'est que, je ne sais pas l'expliquer, son regard est déterminé, audacieux mais aussi il y a en lui… comment dire… elle ne termine pas sa phrase.

Ida ne comprend pas vraiment à quoi Elizabeth fait allusion et ce qui l'a impressionnée. Elle savait que le comte était un bel homme et si elle en était fière, c'était en tant que Hongroise, fière d'un de ses compatriotes et non des moindres. Pour elle-même, par contre, Andrássy n'avait jamais été qu'un ami de sa famille, paternel avec elle pourrait-on dire, qui entourait la jeune fille de son amitié et l'éclairait de ses conseils. Elle admirait en lui le combattant intrépide qu'il avait été et sa détermination pour la sauvegarde de leur patrie. C'est à ce seul titre qu'elle lui vouait une quasi adoration. Elle avait voulu la faire partager à l'impératrice,  ayant découvert chez cette dernière des sentiments qui pouvaient devenir passionnés lorsqu'elle avait décidé d'approfondir la connaissance de son pays, de la langue, de l'âme magyare.

C'est pour cela aussi qu'elle avait été heureuse qu'aujourd'hui Andrássy et Elizabeth puissent enfin se rencontrer. Elle avait parlé au comte de sa maîtresse, au cours de leurs échanges épistolaires, dévoilant quelques aspects de sa vie difficile, toujours critiquée à la cour de Vienne, de ses difficultés de couple, à cause de la trop grande différence de caractère entre elle et François-Joseph, de la tyrannie de sa belle-mère, l'archiduchesse Sophie. Ainsi, avait-il appris et compris bien des choses sur cette jeune souveraine et ardemment il espérait en faire une alliée à la cause de sa patrie. Peut-être entrait-il dans ce choix un calcul somme toute intéressé, pensant qu'il serait facile d'utiliser les sentiments de la jeune femme pour faire plier l'empereur qu'on disait très amoureux de sa belle épouse. Mais de ça, personne n'en avait parlé à Ida qui était une jeune fille honnête, loyale et cherchait autant l'amélioration du sort de sa patrie que le bonheur et le bien-être de sa maîtresse.

Alors, en ce moment dans la chambre à coucher de l'impératrice, elle se sentait perplexe et ne savait pas quoi répondre.

-        Ce que je sais du comte, Majesté, c'est qu'il a enduré beaucoup de choses. Je pense comme votre Majesté, que c'est un homme audacieux, courageux et cette qualité n'a pas cessé depuis sa jeunesse.

-        Pourtant Ida, l'empereur a dit qu'il ne faisait pas confiance à Andrássy. J'ai peur qu'il ne le considère pas  encore comme quelqu'un de loyal, peut-être est-ce dû à ce qui s'est passé en 1848 ? et puis j'ai entendu dire que Kossuth cherche toujours à faire reculer les tentatives de rapprochement par le compromis, or Andrássy a été un des messagers de Kossuth.

-        Il y a longtemps Majesté, il était jeune alors et suivait le dirigeant. Maintenant, il sait composer avec la nation, avec les dirigeants et si la solution du compromis a été choisie, on lui en est entièrement redevable ainsi qu'à Deák Ferenc.

-        Tu as dit tout à l'heure qu'il était audacieux, mais alors, il serait possible, qu'il agisse de façon irréfléchie ou bien qu'il méjuge son influence sur les dirigeants.

-        Il est audacieux, Majesté, que dans la mesure où il est question de lui-même, mais quand il est responsable d'autres choses, c'est un homme prudent. N'oubliez pas qu'il a été juriste. Jamais il n'a risqué la vie des autres, même s'il a souvent risqué la sienne.

-        Oh tu le défends très bien Ida, il n'a pas de meilleur avocat que toi ! dit en souriant Elizabeth. Et bien j'ai très peu bavardé avec lui ce soir, ce n'est pas suffisant pour me faire une opinion à son sujet mais je serai heureuse de le rencontrer de nouveau, lorsque nous irons en Hongrie et peut-être pourrons-nous alors nous évoquer plus franchement le sort de ton pays. Qu'en penses-tu Ida ?

-        Majesté, je vous remercie infiniment, répondit la jeune fille visiblement émue, vous savez combien votre intérêt pour ma patrie me touche.

-        Je sais ma douce Ida, et tu sais aussi que j'ai déjà appris à l'aimer. Les Hongrois m'ont accueillie avec tellement de chaleur, de ferveur, jamais je n'avais ressenti cela ici, ajoute-t-elle tristement. Mais il est déjà tard Ida, je t'empêche de te reposer, va vite te coucher, la journée a été longue aujourd'hui.

-        Surtout pour votre Majesté ! avec ces longues heures d'habillage, de coiffure, rester debout, parler en public. J'ai été tellement fière quand j'ai appris que votre Majesté s'était exprimée en Hongrois !

-        Merci, tu sais c'est grâce à toi si je fais des progrès, tous les jours je le sens, grâce à nos bavardages dans ta langue maternelle.

-        Votre Majesté parlera le hongrois comme une vraie magyare lorsqu'elle retournera en voyage dans mon pays, affirma Ida.

Elizabeth se contente de sourire et retirant son déshabillé vaporeux, elle entreprend de se coucher.

-        Votre Majesté ne désire plus rien ? demande encore Ida en aidant Elizabeth à se mettre au lit.

-        Non merci, va vite te reposer maintenant, dit Elizabeth en souriant doucement.

La jeune fille quitte la pièce et Elizabeth reste seule, elle baisse un peu la lumière des appliques et dans la pénombre, elle se remémore le tumulte de cette longue journée. L'effet du champagne qu'elle a bu au dîner l'empêche de trouver le sommeil et devant ses yeux repassent les images de ces hommes magnifiquement vêtus de leurs étranges costumes, les visages encadrés de barbes sombres ou barrés d'une moustache hardie et parmi tous ceux-là, la silhouette élancée aux longues jambes, la profusion des boucles brunes au-dessus du front, les traits nobles et surtout le regard, ce regard fier, déterminé mais aussi que d'admiration, que d'ardente ferveur dans ces yeux là.

Avec quelle ardeur farouche ils avaient crié cet « Eljen » à en faire vibrer les cristaux des lustres !

« Ah comme ces Hongrois sont passionnés, impétueux… et le sommeil vient doucement alors qu'elle murmure encore en hongrois « milyen tüzesek ezek a férfiak (2)… "

 

 

(2) comme ces hommes sont ardents

 



01/01/2016
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