Plume et parchemin

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Les papillons - Gérard de Nerval -

Les papillons

 Gérard de Nerval (1808-1855)

Recueil : Odelettes (1853).

I.

 

De toutes les belles choses 

Qui nous manquent en hiver, 

Qu'aimez-vous mieux ? — Moi, les roses ; 

— Moi, l'aspect d'un beau pré vert ; 

— Moi, la moisson blondissante, 

Chevelure des sillons ; 

— Moi, le rossignol qui chante ; 

— Et moi, les beaux papillons !

 

Le papillon, fleur sans tige, 

Qui voltige, 

Que l'on cueille en un réseau ; 

Dans la nature infinie, 

Harmonie 

Entre la plante et l'oiseau !...

 

Quand revient l'été superbe, 

Je m'en vais au bois tout seul : 

Je m'étends dans la grande herbe, 

Perdu dans ce vert linceul. 

Sur ma tête renversée, 

Là, chacun d'eux à son tour, 

Passe comme une pensée 

De poésie ou d'amour !

 

Voici le papillon faune, 

Noir et jaune ; 

Voici le mars azuré, 

Agitant des étincelles 

Sur ses ailes 

D'un velours riche et moiré.

 

Voici le vulcain rapide, 

Qui vole comme un oiseau : 

Son aile noire et splendide 

Porte un grand ruban ponceau. 

Dieux ! le soufré, dans l'espace, 

Comme un éclair a relui... 

Mais le joyeux nacré passe, 

Et je ne vois plus que lui !

 

II.

 

Comme un éventail de soie, 

Il déploie 

Son manteau semé d'argent ; 

Et sa robe bigarrée 

Est dorée 

D'un or verdâtre et changeant.

 

Voici le machaon-zèbre, 

De fauve et de noir rayé ; 

Le deuil, en habit funèbre, 

Et le miroir bleu strié ; 

Voici l'argus, feuille-morte, 

Le morio, le grand-bleu, 

Et le paon-de-jour qui porte 

Sur chaque aile un oeil de feu !

 

Mais le soir brunit nos plaines ; 

Les phalènes 

Prennent leur essor bruyant, 

Et les sphinx aux couleurs sombres, 

Dans les ombres 

Voltigent en tournoyant.

 

C'est le grand'paon à l'oeil rose 

Dessiné sur un fond gris 

Qui ne vole qu'à nuit close, 

Comme les chauves-souris ; 

Le bombice du troëne, 

Rayé de jaune et de vert, 

Et le papillon du chêne 

Qui ne meurt pas en hiver !...

 

Voici le sphinx à la tête 

De squelette, 

Peinte en blanc sur un fond noir, 

Que le villageois redoute, 

Sur sa route, 

De voir voltiger le soir.

 

Je hais aussi le phalènes, 

Sombres hôtes de la nuit, 

Qui voltigent dans nos plaines 

De sept heures à minuit ; 

Mais vous, papillons que j'aime, 

Légers papillons de jour, 

Tout en vous est un emblême 

De poésie et d'amour !

 

III.

 

Malheur, papillons que j'aime, 

Doux emblème, 

A vous pour votre beauté !... 

Un doigt, de votre corsage, 

Au passage, 

Froisse, hélas ! le velouté !...

 

Une toute jeune fille 

Au coeur tendre, au doux souris, 

Perçant vos coeurs d'une aiguille, 

Vous contemple, l'oeil surpris : 

Et vos pattes sont coupées 

Par l'ongle blanc qui les mord, 

Et vos antennes crispées 

Dans les douleurs de la mort !...

 

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13/02/2019
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