Marianne et Brandon - chapitre 5
Chapitre cinq
Marianne soupira en entrant dans le bureau. Elle et Christopher étaient de retour depuis déjà deux semaines de leur voyage de noces et elle pouvait difficilement imaginer qu'elle était mariée depuis si longtemps ! Il lui semblait que c'était hier qu'elle s'était trouvée devant l'autel de la chapelle de Delaford, tremblante, nerveuse alors qu'elle avait prononcé le « je veux t'aimer et te chérir » à Christopher Brandon et seulement à LUI pour toute sa vie durant.
Alors qu'elle passait sa fine main le long des couvertures des livres sur les étagères, Marianne pensa qu'elle était avant tout une menteuse. Comment avait-elle osé faire un tel vœu ? Comment avait-elle osé devant Dieu et les Hommes promis de l'aimer à tout jamais ? alors qu'elle n'en était pas sûre du tout ? naturellement elle avait beaucoup d'affection pour Christopher, elle aimait sa compagnie, mais pouvait-on appeler ça de l'amour ?
- Excusez-moi Mrs Brandon, c'était la voix de Giles, le valet de Christopher. Marianne sursauta, tirée de sa rêverie.
- Je vous demande pardon, je ne voulais pas vous importuner, mais le Colonel Brandon pense que vous devriez ouvrir les courriers de félicitations qui sont arrivés pendant votre voyage de noces. Il désigna du doigt un tas de lettres sur le bureau.
Marianne soupira, elle n'avait pas vraiment envie d'ouvrir ce genre de lettres, qui lui rappelleraient tout le temps qu'elle était mariée à l'homme le plus honorable, le plus gentil et le plus dévoué du Devonshire, dont elle n'était que l'ingrate épouse ! chacune des ces lettres devaient féliciter Christopher pour avoir enfin épousé la femme qu'il désirait et complimenter Marianne d'avoir « accroché le célibataire le plus convoité du comté" ! Marianne n'avait aucune envie de lire des lignes insipides et sentimentales au sujet de leur mariage ! Mais après un long soupir, elle se dit « je pense que ça fait partie des mes devoirs de femme mariée » et elle commença à prendre une lettre, la plus proche et à la lire, intriguée de voir qu'elle lui était uniquement adressée à elle et pas à Mr et Mrs Brandon mais elle ne reconnaissait pas du tout cette écriture.
Ma chère Mrs Brandon,
J'ai été tellement heureux d'apprendre l'annonce de votre mariage avec mon cher ami, Christopher. Je le connais depuis bien des années et il est vraiment le meilleur des hommes ! Je suis donc sûr que la femme qui a réussi à capter son cœur a quelque chose de particulier. J'espère que vous ne me trouverez pas impertinent en disant cela, je ne sais pas si vous connaissez bien Christopher, je me souviens seulement que vous vous êtes rencontrés il y a peu d'années. Je voudrais donc vous informer que Brandon, malgré ses larges épaules et sa grande taille est quelqu'un de très timide, réservé et ne dévoile pas facilement ses pensées qu'il garde plutôt pour lui. J'espère que vous arriverez à le faire se confier à vous quand il est à ruminer, je sais qu'il a tendance à faire cela assez souvent et c'est assez vexant pour la personne qui est en face de lui de converser avec quelqu'un qui répond à peine !
Je dois aussi confesser que j'ai de longues conversation avec moi-même et je suis si malin que quelquefois je ne comprends absolument pas un mot de ce que je me dis ! Brandon m'est d'un grand secours pour m'aider et me comprendre. Je suis bien certain que vous serez d'un grand secours auprès de Christopher car une femme amoureuse est beaucoup plus clairvoyante qu'un ami, même proche.
Bien que nous ne nous soyons encore jamais rencontrés, j'espère que cela arrivera dans un avenir proche lorsque je serai de nouveau à terre.
Transmettez à Brandon, je vous prie, que le « kingsfisher » lui adresse un grand Hello
Avec mes respectueuses salutations,
Captain George King
Marianne ne savait pas quoi penser, qui était ce George King ? Christopher n'en avait jamais parlé ; d'ailleurs, il ne parlait jamais de sa carrière militaire à part quelques références à l'Inde et au fait que Sir John avait servi dans les Indes Orientales également. Manifestement cet homme connaissait très bien Christopher, assez bien pour noter les traits de son caractère et assez bien aussi pour penser qu'une petite note à la femme que Brandon avait épousée ne serait pas complètement malvenue. Et pourquoi ce surnom de « Kingfisher » ? elle était extrêmement intriguée.
Elle continua à penser à ce mystérieux Capitaine King, et se dit qu'il fallait qu'elle en parle à Christopher.
Elle prit une autre lettre sur le dessus de la pile et commença à marmonner en reconnaissant l'écriture : pourquoi donc Fanny avait-elle écrit ? Mais est-ce que Fanny se souciait de son mariage ? la lettre disait ceci :
Ma chère Marianne,
Je pense que je dois vous envoyer mes félicitations à l'occasion de votre mariage. C'est sûrement la providence qui vous a évité d'épouser cet horrible Mr Willoughby ! Imaginez donc ce que votre mère aurait pu penser, de vous laissez vous associer avec un tel homme ! Cependant, le Seigneur a voulu intervenir et effacer la marque de cet outrage en favorisant un lien autrement plus avantageux. J'espère que le Colonel pourra nous honorer de sa présence à un dîner chez nous dès que nous serons tous en ville.
Je vous prie d'adresser au Colonel mes respectueuses salutations ainsi que celles de John.
Votre mère m'a dit que vous aviez été à Paris. Serez-vous assez aimable de partager avec moi les dernières modes ?
Je suppose que vous enverrez à Edward et Elinor vos salutations, mère est encore très fâchée avec lui.
Sincèrement votre,
Fanny Dashwood
Marianne ne put s'empêcher d'éclater de rire en lisant cette lettre de Fanny pleine de suffisance. Au sujet de ses mots sur Willoughby, elle pensait que Fanny avait voulut dire quelque chose de similaire à ceci « dans le cas où sa tante ne l'aurait pas déshérité je ne sais pas comment une jeune femme de conditions modestes aurait réussi à captiver un jeune homme aussi bien fait et d'aussi grande distinction que Mr Willoughby » – Fanny était tellement arriviste et elle détestait ses airs supérieurs et la mention sur la mode de Paris montraient à quel point elle essayait de rabaisser la jeune Marianne.
Marianne continua à lire les cartes et lettres les unes après les autres. Certaines la faisaient sourire car leurs vœux étaient vraiment sincères et chaleureux, d'autres la faisaient même rire par leur air présomptueux. Il ne restait plus que quelques lettres sur la pile, elle en prit une au hasard – elle ne pensait jamais revoir cette écriture : Non, ça ne peut pas être celle de Willoughby ! les mains tremblantes, elle ouvrit l'enveloppe et commença à lire, l'incrédulité augmentant à chaque mot :
Ma très chère Marianne,
Bien que je sache que vous soyez mariée, j'espère aussi que votre coeur reste, tel que le mien, aussi attaché à moi que je le suis à vous. Je sais que vous pensez que maintenant je suis marié à Miss Grey et c'est pour cette raison que vous avez épousé le colonel Brandon. Je ne pouvais pas échapper à cela, ma chère, ma très chère, ma seule aimée.
Chaque fois que je la regardais, c'est vous que je voyais et j'espérais que ce soit toujours vous. Ressentez-vous la même chose quand vous regardez votre mari ? je ne peux qu'espérer qu'il en est également ainsi.
Si vous voulez venir avec moi, nous quitterons l'Angleterre et serons ensemble ! personne ne pourra savoir que vous êtes mariée à un autre ; nous pourrons nous unir secrètement dès que nous arriverons en Espagne. Dieu doit sûrement reconnaître un telle union et un amour véritable entre deux êtres qui s'aiment. Laissez-moi être cet homme que vous aimez ! vous ne pouvez pas avoir cessé de m'aimer !
Je vous en prie, ma très chère, j'attends votre réponse, languissant de toucher enfin le papier où je lirais les mots écrits de votre main tellement chérie.
Votre toujours dévoué
John Willoughby
- Comment ose-t-il ! Marianne prit la lettre et la froissa dans sa main. Comment peut-il écrire de telles choses, alors qu'il sait que je ne peux pas faire ce qu'il me demande ! elle se mit à pleurer en relisant cette lettre.
Mais pourquoi n'avez-vous pas écrit avant, Willoughby ? je ne me serais pas mariée avec le colonel alors ! murmura-t-elle. Mais comme ces mots sortaient de sa bouche, elle sentit la honte l'envahir. Elle était dans la maison de Christopher, comme Mme Brandon. Comment pouvait-il imaginer qu'elle fuirait en Espagne sans que personne ne s'en aperçoive ?
« Marianne, comment oses-tu même penser à cet homme, es-tu devenu si perverse ? elle s'invectivait elle-même.
- Marianne, êtes-vous tout à fait bien ?
Marianne sursauta violemment en entendant la voix de Christopher. Elle enfonça vivement la lettre de Willoughby dans sa poche et se tourna vers son mari :
- Je vais bien, merci, acceptant le mouchoir qu'il lui tendit pour essuyer ses yeux… c'est juste que toutes ces lettres sont émouvantes. Elle regardait fixement sa cravate, évitant son regard. Si elle plongeait dans ces yeux plein de tendresse, toujours affectueux qui brillaient d'amour pour elle et aussi de compréhension, elle lui révélerait tout : qu'elle aimait encore Willoughby, qu'il était encore amoureux d'elle, qu'il lui avait demandé de fuir avec lui en Espagne et qu'elle pouvait imaginer que ce soit possible.
Elle lui jeta un coup d'oeil et vit son sourire amusé et indulgent :
- Quand j'ai demandé à Giles de vous dire d'ouvrir tout ce courrier, je ne pensais pas que cela vous ferait pleurer ; j'avais pensé que cela vous distrairait.
- Oh, beaucoup étaient en effet distrayantes, répondit-elle en essayant de sourire, et de repousser ses pensées au sujet de Willoughby hors de son esprit, spécialement celle de Fanny ! Christopher était sur le point de dire quelque chose mais elle regarda son mari droit dans les yeux et dit d'un ton un peu sec « avez-vous besoin de quelque chose Christopher, en fait je pensais terminer ceci avant le dîner ».
Il parut se contracter un moment puis dit :
- Non, je n'avais rien prévu mais si vous voulez continuer tranquillement, je vais faire une petite promenade avant le dîner. Je vous verrai plus tard. Il s'inclina, l'embrassa sur le front, lui jeta un long regard profond puis tourna les talons et sortit de la pièce.
Marianne se demandait ce qu'il aurait dit si elle ne l'avait pas interrompue.
La lettre de Willoughby la brûlait au fond de sa poche. Elle soupira, sachant qu'elle ne serait pas capable de penser à autre chose jusqu'à ce que ce soit réglé. Elle quitta la bibliothèque et s'assura que Christopher était dans le jardin, elle se dépêcha de gagner sa chambre, tira la lettre de sa poche et ferma soigneusement la porte derrière elle.
la suite : https://plumeetparchemin.blog4ever.com/marianne-et-brandon-chapitre-6
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 8 autres membres